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Le
corps exquis |
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Auteur |
Poppy
Z. BRITE |
Lecture |
Octobre
2006 |
Édition |
VF
: J'ai Lu |
Création
Fiche |
Octobre 2006 |
Parution |
1996
(VF 1999) |
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Origine |
USA |
Traduction |
J.-D.
Brèque |
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"Fais-moi
découvrir les sommets de l'expérience et leurs sordides
profondeurs. Rends-moi fou de plaisir, puis torture-moi avec douceur.
Emmène-moi jusqu'au bout, partage avec moi ta joie et ta colère,
apprends à connaître mon corps comme tu connais le tien.
Mais n'oublie pas de te couvrir de latex".
P.Z. Brite "corps Exquis"
(J'ai Lu, p. 155).
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Milieu des années 90. Ça
commence à Londres.
Andrew Compton, tueur psychopathe en manque d'affection, qui, pour conjurer
sa solitude, immole ses amants d'un soir, conservant leurs cadavres
dans son lit, les aimant, les caressant, les embrassant, les baisant,
dormant dans leurs bras enlacé, jusqu'à épuisement.
Compton qui, à 33 ans, croupit dans sa prison de Londres depuis
5 ans quand il réussit une extraordinaire évasion, et
s'enfuit vers les USA... La Nouvelle Orléans.
La Nouvelle Orléans. Lysander Byrne, dit Jay (prononciation US
de J pour Junior), trentenaire, fils de bonne famille, issu d'industriels
de la chimie lourde, pollueurs professionels remplis de morgue. Jay,
de la haute société donc, mais aux gènes toutefois
légèrement viciés, d'après la rumeur des
bayous... Jay, qui sévit dans les quartier interlopes de New
Orleans, ramassant des jeunes paumés à la dérive,
drogués jusqu'à la pointe des cheveux, les ramenant chez
lui pour satisfaire ses pulsions morbides, sadiques à l'extrème,
et cannibales, conservant les restes de ses proies dépecées
dans un congélo géant.
La Nouvelle Orléans. Lucas Ransom, "Luke", la trentaine,
écrivain sensible et révolté, héroïno-cocaïnomane,
amoureux fou de Tran, son ex-amant, Tran qui l'a plaqué il y
a quelques mois, à l'annonce de la séropositivité
de Luke. Sous le nom de Lusk Rimbaud (en l'honneur du jeune poète
Français à qui il a emprunté beaucoup des titres
de ses romans), Luke anime une émission "extrémiste"
sur une radio pirate financée par Soren qui navigue dans les
bayous sur une barge pilotée par Johnnie, qui sert également
de technicien.
Tran, jeune éphèbe, 21 ans mais paraissant à peine
sortie de l'adolescence, beau, mince, élancé, sexy, parents
vietnamiens traditionalistes immigrés aux USA quand lui avait
2 ans. Tran qui se sauve (autant qu'il est chassé) de la maison
familiale quand son père découvre les lettres explicites
de Luke, son ex-amant. Tran, tendre et naïf, qui, tel Icare, s'approche
trop du soleil par insouciance ou par défi (?).
Soren, 25-26 ans, cultivé et sensible, issu d'une famille très
riche de New Orleans, famille qui n'a pas hésité à
le chasser dès l'âge de 16 ans, à l'annonce de son
homosexualité, le dotant d'une riche pension pour ne plus entendre
parler de lui.
Johnnie, contaminé par le VIH par son frère aîné
... Non pas un viol, lui aimait ça ... Les deux frères
chassés eux aussi de la maison familiale très jeunes,
junkies à la dérive. Johnnie, couvert de Kaposi, dont
le frère aîné vient de mourir du SIDA après
des années de souffrance et de solitude.
Voilà.
Les personnages sont prêts, tout est en place. La tragédie
peut se jouer. Rideau.
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Sur la forme. C'est un roman superbe.
Ecriture maîtrisée et précise (respectée
par la traduction *), style agréable, vocabulaire riche, construction
magnifique. Brite
entre parfois, furtivement, dans la peau de ses personnages, leur donnant
plus de vie, au contraire de la plupart des écrivains américains
contemporains (surtout les gays) qui se contentent d'être purement
descriptifs. Ainsi, on passe de la plume "neutre" du narrateur
au "je" d'un personnage, notamment Andrew Compton.
Sur
le fond. Il paraît que ce roman est culte. Je peux le comprendre,
et j'aurais adhéré si je n'avais pas été
rebuté par des passages inutilement scabreux, descriptions anatomiques
dignes d'un rapport d'autopsie, dans lesquels se complait l'auteur,
sans rien apporter à son propos, ni à la qualité
du roman. La suggestion aurait été bien plus forte, sans
être gerbos, et aurait permis à ce roman de se hisser vers
les chefs d'oeuvre, plutôt que de rester dans les limbes snobinardes
de l'underground intello.
Brite nous entraine sur les pas d'exclus, "perdants magnifiques",
âmes sensibles, marginaux à la dérive (Luke, Soren,
Johnnie), que les bien-pensants veulent ignorer au nom d'une morale
millénaire et écartent dans les périphéries
de leurs petites vies tranquilles. Mais ce monde limite est aussi fréquenté
par des êtres sordides, tueurs en série maniaques, détraqués
de tous genres (Andrew, Jay), qui se camouflent parfois dans le monde
propret des bien-assis (Jay), participant à leur société,
graissant la patte aux politiciens et policiers, pour mieux ensuite
se couler dans la boue de la zone, prédateurs impitoyables. Dans
ce monde cauchemardesque s'immiscent régulièrement de
nouveaux parias, réprouvés innocents et naïfs, mal
préparés et mal armés pour resister à la
tourmente de cette jungle impitoyable (Tran).
Soit. Jusque là, rien à redire. Le roman aurait pu magnifiquement
servir ce propos, ces personnages sublimes, avides d'amour, paumés
déambulant dans les bas-fonds d'une Nouvelle Orléans qui
échappe aux clichés des cartes postales, entourés
des fantômes hallucinants de tueurs en série psychopates
; Brite en avait les capacités. Mais pourquoi s'éterniser
dans des scènes explicitement crues et parfaitement inutiles.
La 4ème de couv décrit "Le corps exquis" comme
"un livre violent dont aucun lecteur ne sortira indemne".
Certes. Mais cela aurait pu se faire sans donner envie de vomir. La
force de l'image, de la métaphore, du suggéré,
de l'implicite aurait été plus persuasive, aboutissant
à un roman plus puissant et plus violent, sans être émétique.
D'autant plus que Brite a l'air de se complaire dans ces descriptions
gores comme un sale gosse crierait "caca" lors d'un diner
mondain, juste pour faire tâche !
C'est dommage, car c'est ce qui subsiste quand on a lu ce livre, et
c'est ce qui revient quand les lecteurs en parlent ! On oublie que c'est
avant tout un cri d'amour, un plaidoyer contre la solitude, contre l'indifférence
(notamment face au SIDA), contre la mise au ban parce que différent.
C'aurait été pourtant bien que ce livre sorte des sentiers
privés de l'underground et soit accessible à tous ! Mais
j'ai bien peur que ce côté morbide et scabreux à
souhait n'attire un tout autre genre de lecteurs...
*
On pardonnera donc au traducteur les nombreux anglicismes dont est truffée
sa traduction !
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prochainement.
L'avis de nos lecteurs
:
-
Matthieu C.,Paris, Novembre 2004*.
La Nouvelle Orléans.
Il fait chaud et humide, on est content, tout colle... même les
corps exquis de ces jeunes garçons dans le Vieux Carré...
Ils s'ébattent, batifollent, se saoûlent... bref, ils s'éclatent...
Et on a envi de les rejoindre de suite !
Mais le billet d'avion est cher, et on se rend compte qu'il y a en a
qui ne sont pas comme tout le monde...
Un homme en particulier... Son trip à lui, c'est de baiser ses
futures victimes, les faire souffrir, les tuer, et les manger !
Voui m'ssieurs-dames... Hannibal Lecter is Back !! Mais version Queer
as Folk !
Au diable les bonnes manières du cannibale-Hopkins, place aux
scènes crues, à faire devenir rouge de honte (et d'excitation?...)
les plus prudes d'entre nous...
Mais tout ces brins de paille ne doivent pas cacher les troncs qui jalonnent
le livre de Poppy Z. Brite. C'est le récit d'une déchéance,
d'un mal-être, d'un non-retour vers les tourbillons de la criminalité.
Certes le héros (bientôt rejoint par un autre compère
du même genre) est un gay qui vit sa vie comme il l'entend, et
d'une manière qu'on qualifierait de "normale", en tous
cas passe-partout, mais ses aventures underground sont cyniques, noires,
pauvres... basées néanmoins sur une véritable histoire
d'amour : celle qu'il entreprendra avec Tran, un jeune gay de 19 ans.
Un livre excitant, très bien écrit, qui ne plonge jamais
le lecteur dans un érotisme puérile, mais qui nous surprend
par la sauvagerie des faits. On est tour à tour excité,
dégoûté, horrifié, amusé...
Un bon livre de chevet, à ne pas mettre entre les mains de tout
le monde...
Méfiez-vous de vos futurs amants...
-
K. Heva, 27 ans, Nancy, Janvier 2012.
J’ai commencé
le livre avec enthousiasme, il avait l’air prometteur et me faisait
penser à une nouvelle qui m’avait plu : Le Collectionneur
d’une surnommée Agonoize. Plus on avance dans le récit,
plus l’agréable ressemblance trouve sa limite, les personnages
sont creux, c’est tout juste si je me suis un peu attaché
à Andrew Compton et à Luke, tous les autres m’ont
laissé de marbre, pas un seul frisson de dégoût
ou d’excitation, niet, que dalle. Arrivé au deux tiers
du bouquin j’ai compris qu’il n’y aurait pas de « climax »,
sauf si on considère le débitage de viande comme un climax
en soit, bien entendu. Personnellement ces scènes m’ont
ramené à ma tendre enfance lorsque ma mémé
tranchait la gorge des volailles et recueillait leur sang dans une assiette
pour en faire de la farce, avant de les ébouillanter, de les
plumer, de les vider pour enfin les découper.
Bref, je n’ai jamais couru après les films gores éviscérés,
je n’y trouve aucun plaisir mais un ennui mortel. Je préfère
l’horreur psychologique. Plus que la description de mètres
d’intestins, c’est la terreur telle quelle est ressentie
qui me fait frissonner. Je n’ai pas arrêté de me
dire : où est la colère ?! Où est la
rage ?! La passion malsaine ?! Le sentiment d’être
dominé et de domination ?! Où est l’abandon ?!
En dehors de l’amour qui lie Luke à Tran, je n’en
ai vu nul part dans ce livre. À aucun moment le texte n’a
réussi à me faire croire aux sentiments de Jay pour Andrew
et inversement. Les deux tueurs m’ont paru aseptisés et
inintéressants. J’attendais un déferlement de violence,
de haine de colère de n’importe quoi qui briserait le plat,
rien ! Jusqu’à la dernière scène pourtant
idéale, rien ! J’ai eu l’impression de regarder
Transformers : plein d’effets spéciaux dans la tronche
et zéro psychologie. Si les personnages prenaient plaisir à
étriper, heureusement que leur érection était mentionnée
car je ne l’aurai pas compris.
Le seul intérêt que je retiens de ce livre est de nous
avoir tout de même introduit dans les pensées de Luke,
homme flamboyant atteint du sida. À travers lui, nous est dépeinte
une méchante gueule de bois : celle de la découverte
de cette maladie au lendemain de la révolution sexuelle. Luke
est animé par la rage, il a la rage et c’est bien le seul
de tout le bouquin à l’avoir, dommage.
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