"Paris, RER Station Nation, direction Gare de Lyon. Un couple qui s'essouffle. Lui, Gabriel, sur le quai ; Elle, Sandrine, dans la rame. Un jeune homme, fragile, abusé sans doute, en blouson jaune. Une ado, Sophie, amoureuse, en mini-fugue, impatiente de dévorer la vie à pleines dents ; Ludo, son militaire, gare de Lyon. Un universitaire homosexuel, Emmanuel, franc et débonnaire, souriant et méditatif. Un pervers frustré, Gilbert, laissé pour compte, qui se rend dans un simili bordel pour assouvir ses fantasmes. Chacun dans ses pensées, chacun dans sa vie, apparemment indépendante de celle des autres. Action. 19 secondes, Zeus, le RER, entre en gare. 18 secondes, 17, 16 ... Sandrine n'est pas dans le wagon où Gabriel la guette. Sophie court monte les escaliers 4 à 4 pour attraper ce train et être à l'heure avant le départ de Ludo. Le jeune homme en jaune guette la fermeture des portes pour descendre précipitamment. 15 secondes, 14,... C'est fait. Sophie a eu son RER, et le blouson jaune est descendu in extremis, Sandrine a vu Gabriel qui ne l'a pas vue. 13 secondes, 12, ... les portes se ferment, le convoi s'ébranle, le train entre dans le tunnel, l'action s'emballe, le compte à rebours continue, inexorablement... Traversée du Styx, et c'est Hadès, l'enfer..."

Court roman, presqu'une nouvelle, construit en 3 parties. Ecriture courte, rapide et incisive ; nette et précise. Rythme lent pour commencer, descriptif, extérieur, intérieur. Charras pose son décor, et distribue les rôles. Le rythme mollement s'accélère avec l'imminence du départ du RER, puis s'accélère encore avec le départ du train, puis encore, jusqu'à devenir fou, et se calmer de nouveau ensuite, après ..., tâtonnant, hésitant, comme le dernier protagoniste. Charras part dans tous les sens, perdant nos déductions dans des labyrinthes inextricables. Tout d'abord on s'inquiète, se demandant pourquoi on a commencé ce livre qui démarre comme un film de Sautet. Puis on est absorbé par une nouvelle direction, puis une autre, jusqu'à ne plus relever le nez des pages, que l'on tourne l'une après l'autre. Les introspections de chacun des personnages sont très bien construites, et intéressantes, notamment la réflexion d'Emmanuel sur son homosexualité, celles de Gabriel et de Sandrine sur le couple, etc. Quelques bonnes piques contre les principes idiots, qui ont malheureusement la vie dure. Réflexions mêlées à un très bon suspense, mené subtilement, même si l'issue des 19 secondes est assez prévisible... la manière dont l'événement est traité est originale. Bonne lecture.