Famille Prouillan, vieille souche
de propriétaires terriens, originaire de Moncrabeau, Gascogne,
installée dans les beaux quartiers haussmanniens de l'ouest parisien.
Henri, le patriarche, grand bourgeois, haut fonctionnaire, ministre
gaulliste de la cinquième république. Cécile, femme
effacée. Suzy, sœur aimante, mariée à un
dramaturge juif, espèce de Courteline au succès mitigé,
brocardant le bourgeois pour faire rire … les bourgeois. Quatre
enfants, Luc, Sébastien, Claire, et Bertrand… Bertrand,
le vilain petit canard, celui qui n'entre pas dans le moule conventionnel
de la famille bourgeoise. Bertrand qui fustige tout ce petit monde de
son impertinence. Bertrand, garçon sensible. Bertrand, dix-sept
ans, amoureux de Romain, de plus de dix ans son aîné. Romain
poussé au suicide par le chantage au détournement de mineur
par Henri Prouillan…
Trois ans plus tard, mille neuf cent soixante, Bertrand est reçu
brillamment à l'École Normale. Neuf juillet de cette année,
Bertrand a vingt ans, juste le jour où il rentre de Barcelone,
après avoir subi une trépanation, officiellement pour
"tumeur au cerveau". A cette époque, la Suisse et l'Espagne pratiquent
la lobotomie, censée "guérir" de l'homosexualité.
Bertrand a accepté et cédé à l'ultimatum
de son père. Les autres n'ont rien dit. Personne. Neuf juillet,
père, mère, tante et oncle, frères et sœur,
et pièces rapportées, attendent Bertrand pour célébrer
cet anniversaire, mais … Bertrand n'est plus qu'un légume.
Vingt ans plus tard, neuf juillet mille neuf cent quatre-vingt. La famille
Prouillan est éclatée, écartelée depuis
vingt ans, depuis ce fameux jour. Des mariages se sont défaits.
Cécile, la mère, est décédée. Claire
est veuve. Et les petits-enfants ont grandi. Bertrand est à Moncrabeau,
la maison ancestrale, sous la surveillance d'une famille de réfugiés
républicains espagnols, gardiens de la propriété.
Chacun de son côté, chaque membre de cette diaspora pense
à ce 9 juillet de 1960, à ses conséquences, aux
non-dits familiaux… Il aurait suffit de presque rien pour que
tout le monde soit heureux. Mais ce presque rien, personne n'a jamais
osé le dire, ni le faire …