Philippe Besson a bien préparé son coup : l'étude
biographique de l'agonie de Rimbaud a été soigneusement
menée. Il n'en reste pas moins que ce "Journal intime d'Isabelle"
n'est que pure conjecture, même si plausible, du moins en partie.
Car "la vérité est que Rimbaud nous échappe,
s'échappe. Il nous nargue." (L. Forestier)
Cette période de l'agonie de Rimbaud est surtout connue par le
témoignage d'Isabelle et la correspondance entre Arthur, Isabelle
et Mme mère. Les archives de l'Hôpital de la Conception
ont été détruites. Nous savons également
qu'il faut se méfier du témoignage d'Isabelle qui a toujours
voulu embellir la vie de son frère à l'aune de ses propres
convictions bigottes, essayant notamment de biffer "ce qui
n'est pas autorisé, approuvé par de bons et honnêtes
parents" (comme Mme Rimbaud l'écrivit à Verlaine).
D'ailleurs Besson le dit haut et clair par la bouche d'Isabelle : "...
quand le temps adviendra de livrer mon frère à la
postérité, de témoigner de ce que furent sa vie
et son oeuvre, je devrai faire des accomodements avec la réalité".
Et pourtant il ne manque pas de lui adresser un vibrant plaidoyer pour
la tolérance : "Je dois retrouver Djami, là-bas,
à Aden. [..] Avant lui, j'ignorais qu'un sentiment pouvait s'insinuer.
[...] Un matin, à force de l'avoir à mes côtés,
j'ai pris conscience que je ne serai plus capable de me passer de lui.
Il y a des hommes qui mettent une vie à devenir ce qu'ils sont
: je suis de ceux-là. [...] Tu n'imagines pas les resistances
que j'ai dû vaincre, les inhibitions qu'il m'a fallu surmonter,
les illusions que j'ai été contraint d'abandonner pour
seulement m'accepter en amoureux. [...] Et si toi, qui a été
élevée dans une ferme, avec la bonne odeur de foin et
la boue qui colle aux chaussures ; toi, qui a été jetée
vers Dieu comme on précipite une portée de chiots morts
à la rivière, dans un sac ; toi, qu'on a maintenue dans
l'ignorance et la bigoterie ; si toi tu consens à admettre une
aventure humaine comme celle-ci, alors il existe des raisons de ne pas
desespérer tout à fait. Voudras-tu me laisser un peu d'espoir."
[Ph. Besson, Les jours fragiles, p 149-150].
Malgrè
tout, l'idée de ce roman est excellente et son développement
abouti de main de maître. On retrouve ici toute la plume de "L'arrière
saison". Un régal à lire, avant de se replonger dans
l'oeuvre de l'homme aux semelles de vent.