Tout d'abord la forme. Le style utilise ce Français quelque peu
surrané (hélas) que j'apprécie tant, un style directement
hérité d'un Alain-Fournier ; beau, riche, et agréable,
au phrasé poétique, tantôt imagé, tantôt
direct, jamais ennuyeux, ni pompeux ou verbeux. Le roman est scindé
en deux parties équilibrées, dont la narration échoit
d'abord à Pierre, puis à Gérard, les deux parties
étant liées par le même court espace-temps vu par
les deux protagonistes. La partie de Gérard complète celle
de Pierre. Au-delà du fond, c'est un récit qui est plus
qu'agréable à lire, un exemple à suivre. Selon
les sources disponibles lors de la rédaction de cette fiche,
ce roman aurait été écrit en 1956 par un jeune
écrivain de 16 ans. Il s'avère en fait que le roman fut
publié en 1955 (écrit quand ?), Eric Jourdan avait 25
ans*. Quoiqu'il en soit, bien des auteurs actuels devraient en prendre
exemple et ré-apprendre à écrire ...
L'histoire est celle de deux adolescents qui découvrent l'amour.
A cet âge, c'est tout ou rien. Ici c'est tout. Tout prendre, mais
tout donner aussi. L'amour passion. L'amour absolu. L'amour qui dès
le début dit son nom "Notre amitié enlevait son
masque de guerre, et lentement, sur nos vrais visages, l'amour allait
poser ses mains [...]". Mais plus encore, c'est un amour entre
deux garçons, chamailleurs, gouailleurs, crâneurs ; un
amour fait de combat, de domination, d'affrontement, de renoncement,
d'abdication de l'orgueil, de tendresse, de sublimation. "J'offrais
ce que j'avais de plus vulnérable, la passion entière
ne tendait qu'à cet instant. Pour l'amour de Pierre, je demandais
toujours plus à moi-même, et lui, pour moi, cherchait à
se dépasser chaque jour". Un amour qui laisse aussi
parfois un goût amer de solitude, quand il demande trop "Je
savais bien qu'elle était impossible à décrire
cette peine faite de trop de bonheur. L'amour est un désastre".
Eric Jourdan est étonnant de lucidité et de maturité
dans ce roman, pour un garçon de 16 ans. Sa description des sentiments
adolescents est d'une maîtrise parfaite, et d'un recul inimaginable.
Il faut avoir aimé et souffert pour écrire un chef-d'oeuvre
pareil.
A mettre entre toutes les mains, homo, hétéro, et surtout
entre celles des plus jeunes.
N.B.
: Lors de sa parution aux Editions de la Pensée moderne (1955
- Eric Jourdan a 25 ans), "Les Mauvais Anges" fut interdit.
L'abbé Pihan, directeur de la commission de surveillance du ministère
de l'Intérieur, n'apprécie pas cette histoire d'amour
entre deux cousins germains ! Entre garçons ! Ce, malgré
la préface de deux auteurs de renom (Max-Pol Fouchet et Robert
Margerit). Interdit en 1956, puis en 1974, l'ouvrage ne reparaîtra
qu'en 1985, en 1991 à la Découverte, et en 2001 à
La Musardine.
* Eric Jourdan est né Jean Roger Eric Gaytérou en mai
1930 à Paris et décédé en février
1915. Il a été adopté par l'écrivain américain
de langue française Julien Green..