La plume, le style, l'érudition de Pierre Combescot font de ce
roman un vrai plaisir et une délectation certaine. Tout est documenté,
et, à l'instar de Maurice Druon et ses rois maudits, Combescot
réussit un excellent roman historique. Rien à dire ! Une
lecture à conseiller donc pour les amateurs d'Histoire et d'histoires.
Il n'en reste pas moins que Combescot part sur le postulat que Gilles
de Rais est coupable et a commis les crimes qu'on lui reproche. Ces
faits ont été par la suite contestés, et son accusation
par l'inquisition remise en question. D'aucuns pensent que Gilles de
Rais aurait été pris en étau dans la lutte entre
le roi de France (Charles VII) et le duc de Bretagne (Jean V de Montfort),
nombre de ses fiefs étant situés aux Marches de Bretagne.
Lui-même était vassal de ces deux puissants seigneurs pour
l'un ou l'autre de ces fiefs. L'église intervenant pour se venger
d'humiliations perpétrées par Gilles contre certains membres
du clergé, et pour récupérer également quelques
territoires.
Extrait de l'article de Michel KURZ (Acropolis)
faisant référence à la monographie de J.-P. BAYARD
(Ed. Soleil Natal) :
[...]
L'histoire "officielle" est aujourd'hui fréquemment
dénoncée, voire confondue, par des recherches nouvelles,
le plus souvent empreintes d'une grande rigueur, et qui conduisent à
des conclusions diamètralement opposées à celles
communément admises jusqu'alors. Les thèses consacrées
à la réhabilitation de divers personnages, parmi les plus
illustres, condamnés et souvent suppliciés, à diverses
époques, parviennent de plus en plus fréquemment à
rallier l'opinion, à défaut de modifier à court
terme le contenu des manuels scolaires.
Rappelons brièvement ce que
l'histoire a retenu de Gilles de Rais : né à Champtocé
en 1404, vassal du Duc de Bretagne, il se met au service du Roi de France
Charles VII dès 1427 ; compagnon d'armes de Jeanne d'Arc, il
est fait Maréchal de France en 1429. Après la mort de
Jeanne en 1431, il poursuit la lutte contre les Anglais jusqu'en 1435,
puis se retire sur ses terres où il mène une vie fastueuse.
Pour satisfaire son goût du lucre et ses énormes besoins
d'argent, il n'hésite pas à recourir à l'alchimie
et à la magie noire ; un procès retentissant, suivi de
son exécution le 26 octobre 1440 à Nantes, établira
que des centaines d'enfants ont succombé à sa folie meurtrière
après avoir subi les affres de ses perversions sexuelles. C'est
en substance la version officielle de la vie de cet étrange personnage.
Etrange surtout par l'incroyable opposition entre les deux moitiés
de son existence. Certains auteurs ont avancé l'hypothèse
que le très pieux Maréchal de France aurait voué
son âme au diable par dépit ou désespoir après
la mort de Jeanne : "Puisque Jeanne, la sainte, a été
condamnée, suppliciée, il ne faut plus croire en la religion,
en Dieu, et ainsi il s'en remet au Diable". En fait, seuls les
termes du procès permettent d'étayer une telle hypothèse,
car plusieurs années après la mort de Jeanne, en 1435,
on le trouve encore au combat contre les Anglais et, la même année,
il fonde une collégiale à laquelle il consacre des sommes
considérables; n'est-il pas, depuis août 1434, chanoine
de Saint-Hilaire le Grand de Poitiers ? [...]
Si Gilles de Rais est effectivement innocent des crimes qui l'ont conduit
au bûcher, toute la question est de savoir pourquoi il en a été
accusé et comment un aussi puissant baron, si proche du roi de
France, n'a pu échapper à la terrible machination. Précisement,
c'est sans doute dans sa double appartenance à la Maison de France,
par conviction, et à la Maison de Bretagne, par sa naissance,
qu'il faut chercher la raison ultime de sa perdition. Le Duc de Bretagne,
Jean V, même s'il ne s'implique pas directement dans le conflit
franco-anglais, ne dissimule pas son penchant pour la cause britannique.
Par ailleurs, il convoite les innombrables propriétés
et châteaux que son vassal vend sans difficulté pour renflouer
sa trésorerie. [...]
De fait, si certaines des raisons qui ont conduit le Duc de Bretagne
à perdre son vassal et le roi Charles VII à ne pas intervenir
nous resteront à jamais inconnues, le mécanisme de la
machination [...] atteste suffisamment de la plus que vraisemblable
innocence de Gilles de Rais.
Lorsqu'il est arrêté
en sa forteresse de Machecoul, le 15 septembre 1440, par les hommes
du Duc de Bretagne, il se rend sans résistance alors qu'il avait
grandement les moyens de se défendre. Le seul chef d'accusation
qui lui est alors signifié est d'être entré armé
dans une église et d'avoir, pendant l'office, molesté
et arrêté un homme lige du Duc. Ce sont là moeurs
fréquentes à l'époque, que de règler les
différents commerciaux de façon expéditive. Cette
accusation étant fondée et Gilles ayant probablement reçu
du Duc, au cours d'une récente entrevue, des assurances quant
à l'issue de l'affaire, le baron, impétueux mais loyal,
accepte de comparaître dans le but d'obtenir pardon pour sa faute
et réparation dans sa transaction.
Le piège infernal se referme
inexorablement sur le Seigneur de Rais : "Arrêté le
15 septembre, il est présenté à ses juges le 19
septembre, mais ce ne sera que le 8 octobre qu'il connaîtra les
vraies raisons de son arrestation". Quelles sont-elles ? Meurtres
d'enfants, magie noire, commerce avec le diable : Rien que cela ! D'abord
révolté par des accusations aussi effroyables et aussi
éloignées du motif initial de son arrestation, Gilles
nie avec véhémence et récuse ses juges, mais il
est trop tard, l'étau s'est refermé.
L'étonnance similitude, presque
mot pour mot, entre les dépositions des témoins à
charge, montre à l'évidence l'efficacité éprouvée
des tribunaux de l'Inquisition en matière d'extorsion d'aveux
ou de faux témoignages. Gilles lui-même finira par tout
avouer et même plus encore. Le piège aura fonctionné
jusqu'au bout : c'est en échange de ses aveux que Gilles obtiendra
de n'être pas excommunié, de rester au sein de la communauté
chrétienne et, ainsi, d'être inhumé en terre consacrée.
Il sait que, de toute façon, il est perdu, mais il préfère,
en fervent chrétien qu'il est, rester au sein de l'Eglise qui
le condamne, plutôt qu'encourir la damnation éternelle
liée à l'excommunication.
Georges
BATAILLE (Le procès de G. de Rais, 1965) qui penche pour la culpabilité
de Gilles de Rais entrevoit tout de même des causes objectives
au procès indépendantes des crimes supposés (cf.
Philosophie)
:
On
peut douter que Gilles de Rais eût été inquiété
pour ses crimes d’enfants si ses dettes ne l’avaient conduit
à vouloir reprendre par fait d’armes un château qu’il
avait vendu au trésorier de Bretagne, le château de Saint-Étienne
de Mermorte, Par cette expédition non seulement il violait un
contrat signé mais il bafouait les saintes lois de l’Eglise
en entrant armé dans une chapelle pour y prendre en otage le
prêtre (frère du propriétaire) qui y disait l’office.
Dans le même jour Gilles de Rais parvint donc à s’attirer
les hostilités du Duc de Bretagne et de l’Evêque
de Nantes. N’ayant plus d’appui du côté de
ses proches puisqu’il avait par ses folles dépenses gaspillé
tout leur héritage, Gille de Rais fut arrêté et
conduit à la prison de Nantes.