Passé le peu d'attrait du titre*, je me suis plongé, un
peu sceptique, dans cette lecture... Plongé est bien le mot...
au plus profond... Pour un premier roman, c'est une réussite.
Contrairement à ce que pourrait faire penser mon résumé,
les deux périodes, passé et présent, ne sont pas
narrées en série, mais en parallèle, superposant
comme un mille-feuille les deux histoires. Et comme par magie, chaque
chapitre d'une des deux périodes fait écho au chapitre
contigu de l'autre période, le tout s'imbriquant avec une précision
fantastique, sans aucune rupture du fil du récit... j'allais
dire des récits...
Le style est fluide, direct, agréable. Le vocabulaire riche et
imagé. Didier Malhaire prouve qu'un auteur peut écrire
dans un français simple, correct et moderne, sans anglicismes
incongrus, sans tics verbaux aussi inutiles que disgracieux, sans psittacismes
foireux ! En digne héritier d'un Céline ou d'un Genêt**,
il maîtrise une syntaxe très personnelle qui atteint immanquablement
son but, qu'il s'agisse de rire ou de pleurer. Et ... on rit et on pleure
!
Ce récit est une peinture à la fois décapante et
touchante d'un microcosme villageois. Mais ne vous y trompez pas, ce
n'est pas un roman naturaliste. L'auteur s'investit dans ses personnages.
Il y a de la vie là dedans. Pas que de la description anatomique.
La vie est partout. Quoiqu'il arrive, quoiqu'il advienne, la vie est
là. Même lors des enterrements, la vie est toujours là.
Nature omniprésente. Finalement, il y a aussi un peu de Jean
Giono dans ce roman. Roman qui n'est pas fait que de mots, mais aussi
d'odeurs, de senteurs, de sons et de bruissements, de fermentations,
de sensations. Et d'émotions.
Car c'est avant tout un chant d'amour, de toutes les formes d'amour.
D'abord et surtout l'amour de Ludo et de Jacky, bien sûr, à
chaque page. Et quel tact, quelle poésie, la description de leur
première fois : "Ses mains musardent sur ma peau, s'attardent
sur mes pleins et mes déliés, [...] Nous avons toutes
les audaces, et aussi l'anxiété face à l'inconnu.
[...] C'est notre première vraie nuit. J'ai treize ans et nulle
honte. Jacky et ses quinze ans m'ouvrent un chemin où je risque
de perdre une partie de mon enfance. [...]
Nos slips outragent nos désirs, ils ont voltigé dans la
pièce. [...] J'apprends le corps de Jacky, lui
que je connais depuis l'enfance. [...] Je suis surpris
par les mystères qu'il recèle et que j'ignorais. Jacky
trésaille sous mes mains, sous ma bouche, entre mes bras, mes
jambes. Lui aussi semblait ignorer ce que je pouvais lui offrir. Notre
jouissance est née ensemble pour mourir, éclatante, dans
un cri que Jacky a retenu et que sa main sur ma bouche a recueilli."
Mais c'est aussi l'amour de Ludovic et de Paul ; l'amour filial de Ludo
et d'Alphonsine, sa grand-mère ; l'amour quasi-fraternel de Ludo
et de Mimi ; les débordements d'amour d'Alphonsine et Émilienne,
deux vieilles femmes d'une autre époque, et pourtant tellement
lucides, perspicaces, et tolérantes ! Et enfin, aussi incroyable
que cela paraisse, l'amour de Blanche pour Michel, père de Ludo.
Mais bien sûr dans l'amour, il y a quelques taches. Quelques taches
de haine. Elles sont là aussi.
Ce roman est une longue chanson d'amour … qui nous en rappellent
d'autres, tout aussi jolies ... "avec des tas de fenêtres,
avec presque pas de murs", et qu'il fait bon y être... Car,
finalement, les autres, Monsieur, on s'en fout !
Il y a aussi du Brel dans ce roman
!
* La quatrième
de couverture annonce "Le roi du lard est d'abord un roman [...]"
!? Non, le roi du lard n'est pas un roman ; c'est un être aussi
insignifiant qu'un pet insonore et inodore dans le vide sidéral.
C'est vous dire… Décrit comme un prédateur dans
cette présentation du roman, il n'est que charognard, plus hyène
que lion, plus chacal que loup ! L'excellent roman que j'ai lu aurait
mérité un plus beau titre ; ce n'est pourtant pas ce qui
manque dans ce foisonnement de belles phrases : "Le dernier chant
du merle avant la nuit", "Le roi des oiseaux (blessés)",
"Le sourire triste des oiseaux", ou simplement "Le petit
fiancé". Pourquoi avoir donné tant d'importance à
un goret, même s'il intervient dans plusieurs passages du livre,
notamment lors d'un fait majeur et abominable ?
** L'auteur de "Querelle de Brest", pas celui de "Notre
Dame des Fleurs" !