Le roi du lard
Auteur Didier MALHAIRE Lecture Décembre 2012
Edition Eds Les tas de mots Création Fiche Janvier 2013
Parution 2012
Origine Français
Traduction  

"Cette bohème-là, c'est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m'a bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon coeur."
Ch. Baudelaire. Je n'ai pas pour maitresse une lionne illustre.


"Tout me manque et à rester sans bouger, je vais tout manquer."
D. Malhaire, Le roi du lard (p.241)

Ludo est encore un petit garçon, fin des années cinquante, quand son père, las d'une vie morne et des disputes conjugales, quitte femme et enfant pour guerroyer en Algérie. La mère, encombrée de cet enfant mal aimé, non voulu, abandonne Ludo à sa grand-mère paternelle, Alphonsine Dreville. Ludo grandit donc dans la ferme des Trois Basile, en bord de mer, entouré de l'affection grand-maternelle. Il côtoie la population de Fresville (Cotentin) qui représente toute la nature humaine, du plus généreux au plus immonde. Émilienne et Dédé, voisins des Trois Basile, et leurs rejetons, compagnons de jeu de Ludo, dont Mimi, enfant handicapée, avec une tête de citrouille, un squelette de mollusque, des yeux ouverts sur l'univers, et un coeur d'artichaut. Blanche Lemire, "trainée" du coin, montrée du doigt, qui réchauffe le coeur des hommes perdus, pas que le coeur d'ailleurs, et qui récupèrera Michel Dreville, le père de Ludo, revenu de guerre embué dans les vapeurs d'alcool. Le grand Titi qui crache ses aigreurs. Christine, pisseuse hautaine, pétrie de certitudes, qui ne doute de rien, surtout pas d'elle-même. Maurice Busnot, le roi du lard, charcutier de son état, qui recueille et épousera Solange. Solange Bourson, mère de Ludo, femme haineuse, à la morale catholique, apostolique, romaine, et charcutière. Et d'autres encore, Arlette, Jacquette, Mickaël... Et puis il y a Jacky. Jacky qui l'appelle "son petit fiancé". Jacky qui est beau comme un soleil et qui l'aime pareil que lui aime Jacky. Jacky qui a maintenant quinze ans, Ludo treize, quand ils s'offrent l'un à l'autre pour leur première fois. Jacky qui a vingt ans quand il se fiance à Christine, Ludo qui a dix-huit ans quand il quitte Fresville pour Paris, le coeur brisé.
Ludovic revient à Fresville pour l'enterrement d'Alphonsine, sa grand-mère. Comme dans la chanson, "passant par là quelque vingt ans plus tard, il a le sentiment qu'il regrette*" ! Ludovic est maintenant styliste, en couple avec Paul. Jacky est médecin à Fresville, marié à Christine, deux filles. Des vieux d'antan, il ne reste qu'Émilienne. Maurice et Solange sont toujours charcutiers. Et Blanche bien seule. Le grand Titi a vieilli et pris du ventre. Ludovic s'établit pour quelque temps aux Trois Basile. Le temps d'arranger la succession. Puis le temps d'y voir plus clair. Puis le temps de ... traîner un peu encore ici, de chercher ... de chercher quoi ?

* G. Brassens. La princesse et le croque-note.


Passé le peu d'attrait du titre*, je me suis plongé, un peu sceptique, dans cette lecture... Plongé est bien le mot... au plus profond... Pour un premier roman, c'est une réussite.
Contrairement à ce que pourrait faire penser mon résumé, les deux périodes, passé et présent, ne sont pas narrées en série, mais en parallèle, superposant comme un mille-feuille les deux histoires. Et comme par magie, chaque chapitre d'une des deux périodes fait écho au chapitre contigu de l'autre période, le tout s'imbriquant avec une précision fantastique, sans aucune rupture du fil du récit... j'allais dire des récits...
Le style est fluide, direct, agréable. Le vocabulaire riche et imagé. Didier Malhaire prouve qu'un auteur peut écrire dans un français simple, correct et moderne, sans anglicismes incongrus, sans tics verbaux aussi inutiles que disgracieux, sans psittacismes foireux ! En digne héritier d'un Céline ou d'un Genêt**, il maîtrise une syntaxe très personnelle qui atteint immanquablement son but, qu'il s'agisse de rire ou de pleurer. Et ... on rit et on pleure !
Ce récit est une peinture à la fois décapante et touchante d'un microcosme villageois. Mais ne vous y trompez pas, ce n'est pas un roman naturaliste. L'auteur s'investit dans ses personnages. Il y a de la vie là dedans. Pas que de la description anatomique.
La vie est partout. Quoiqu'il arrive, quoiqu'il advienne, la vie est là. Même lors des enterrements, la vie est toujours là. Nature omniprésente. Finalement, il y a aussi un peu de Jean Giono dans ce roman. Roman qui n'est pas fait que de mots, mais aussi d'odeurs, de senteurs, de sons et de bruissements, de fermentations, de sensations. Et d'émotions.
Car c'est avant tout un chant d'amour, de toutes les formes d'amour.
D'abord et surtout l'amour de Ludo et de Jacky, bien sûr, à chaque page. Et quel tact, quelle poésie, la description de leur première fois : "Ses mains musardent sur ma peau, s'attardent sur mes pleins et mes déliés, [...] Nous avons toutes les audaces, et aussi l'anxiété face à l'inconnu. [...] C'est notre première vraie nuit. J'ai treize ans et nulle honte. Jacky et ses quinze ans m'ouvrent un chemin où je risque de perdre une partie de mon enfance. [...] Nos slips outragent nos désirs, ils ont voltigé dans la pièce. [...] J'apprends le corps de Jacky, lui que je connais depuis l'enfance. [...] Je suis surpris par les mystères qu'il recèle et que j'ignorais. Jacky trésaille sous mes mains, sous ma bouche, entre mes bras, mes jambes. Lui aussi semblait ignorer ce que je pouvais lui offrir. Notre jouissance est née ensemble pour mourir, éclatante, dans un cri que Jacky a retenu et que sa main sur ma bouche a recueilli."
Mais c'est aussi l'amour de Ludovic et de Paul ; l'amour filial de Ludo et d'Alphonsine, sa grand-mère ; l'amour quasi-fraternel de Ludo et de Mimi ; les débordements d'amour d'Alphonsine et Émilienne, deux vieilles femmes d'une autre époque, et pourtant tellement lucides, perspicaces, et tolérantes ! Et enfin, aussi incroyable que cela paraisse, l'amour de Blanche pour Michel, père de Ludo. Mais bien sûr dans l'amour, il y a quelques taches. Quelques taches de haine. Elles sont là aussi.
Ce roman est une longue chanson d'amour … qui nous en rappellent d'autres, tout aussi jolies ... "avec des tas de fenêtres, avec presque pas de murs", et qu'il fait bon y être... Car, finalement, les autres, Monsieur, on s'en fout !

Il y a aussi du Brel dans ce roman !

* La quatrième de couverture annonce "Le roi du lard est d'abord un roman [...]" !? Non, le roi du lard n'est pas un roman ; c'est un être aussi insignifiant qu'un pet insonore et inodore dans le vide sidéral. C'est vous dire… Décrit comme un prédateur dans cette présentation du roman, il n'est que charognard, plus hyène que lion, plus chacal que loup ! L'excellent roman que j'ai lu aurait mérité un plus beau titre ; ce n'est pourtant pas ce qui manque dans ce foisonnement de belles phrases : "Le dernier chant du merle avant la nuit", "Le roi des oiseaux (blessés)", "Le sourire triste des oiseaux", ou simplement "Le petit fiancé". Pourquoi avoir donné tant d'importance à un goret, même s'il intervient dans plusieurs passages du livre, notamment lors d'un fait majeur et abominable ?
** L'auteur de "Querelle de Brest", pas celui de "Notre Dame des Fleurs" !




Vous avez lu ce livre et voudriez ajouter un commentaire ? Postez-nous votre avis et nous le publierons prochainement.

L'avis de nos lecteurs :


RETOUR PAGE ACCUEIL
Accueil HomoLibris