Ce roman est fort, très fort, parfois compliqué, mais
bien construit et... très dérangeant. Certaines scènes
pourront paraître insoutenables, et Ch. Honoré décrit
l'horreur sans complaisance ni fausse pudeur, avec des mots vrais de
tous les jours, sans les euphémismes qu'on imagine dans le rapport
de gendarmerie ou dans le commentaire du journal de 20 heures. Mais
cette description de l'abominable n'est pas gratuite ; l'horreur n'est
ici ni magnifiée, ni destinée à choquer. C'est
juste le constat d'une sorte de rituel macabre, initiatique (?). Ca
s'est passé comme ça, et fallait-il le dire, ne fallait-il
pas le dire ? C'est un grand débat. Rappelons que Honoré
est breton, pays où le non-dit règne en maître.
De plus, l'auteur attend le dernier tiers du roman pour décrire
l'événement ; on sait dès les premières
lignes que quelque chose d'innommable est arrivé. Mais ni les
gendarmes, ni les parents, ni les responsables de la colo ne disent
mot. Il faut attendre très tard le récit de Steven lui-même
pour savoir.
Cette lecture m'a ému et beaucoup plu. Les personnages sont attachants
et on aimerait leur tendre une main secourable ou les aider à
trouver ce qu'ils cherchent désespérément, probablement
seulement l'amour (comme Guillaume pour Stéphane dans "Un
Panda..." de Ch. Austruy). Mais cette quête qui devrait
être sereine, se révèle jalonnée de pièges
fatals : jalousie morbide de Jérémy, exprimée par
sa folie sadique, soumission (amour ?) aveugle et béate de Steven
envers Jérémy "son amoureux au cheveux roux"
dès leur première rencontre ("Il s'est avancé
à quelques centimètres de mon visage. J'ai pensé
qu'il allait me mettre un coup de boule. Il m'a embrassé sur
la bouche. - J'étais sûr que t'étais pédé,
il m'a dit."). Donc quête d'amour brutale, malgré
l'amour et l'attachement fraternel de Baptiste. Baptiste, pour qui la
recherche du "pourquoi" est peut-être surtout et d'abord
une question identitaire (peut-être aussi "parler" devient
chez lui une façon de lutter contre ce non-dit persistant et
pernicieux qui l'entoure de toutes parts et le ronge de manière
morbide). Et Aude reste là, perdue, qui voit son bonheur lui
échapper, son besoin d'amour s'évanouir dans les questions,
les idées fixes et les refus (notamment d'être père)
de Baptiste. Et cette quête d'amour meurt dans le désarroi
des parents qui ne cherchent pas à comprendre l'inexplicable
et se réfugient dans le non-dit où d'ailleurs tout avait
commencé !
Juste un bémol à ce roman : la 4ème de couverture
nous dit "Sa clarté (celle du roman) aveuglante révèle
ce que chacun de nous cherche à oublier". Ah ????!!!! Euh,
désolé, non, je ne vois pas !!!! Mais vraiment rien que
je ne cherche à oublier, même pas les petits rituels sadiques
infligés à quelques insectes lors de ma préadolescence
en colonies de vacances.... Jérémy est-il simplement allé
plus loin que la plupart des préados ? Est ce là le message
?...
J'ai ensuite lu
"la suite", c'est-à-dire "Scarborough" (Baptiste
aide Steven à sortir de l'asile psy où il est reclus,
et s'évade avec lui en Angleterre), mais je n'ai hélas
pas pu finir. Ch. Honoré écrit toujours aussi bien, mais
il se perd dans un délire onirique que je ne suis pas arrivé
à suivre. Désolé, mais j'ai tout de même
essayé.