Existe-t'il une littérature homosexuelle ?


La question "Existe-t'il une littérature gay ?" a maintes fois été posée, et entraîne souvent une autre question "Qu'est-ce que la littérature gay". Plus documentés que nous se sont déjà attachés à ergoter sur ces deux questions et nous n'allons pas nous étendre sur le sujet.
Pour notre part, la littérature gay est constituée de livres écrits par des gays, parlant de gays, et destinés à des gays. Ceci dit les gays ne sont qu'une cible "première", rien ni personne ne pourrait empêcher un hétéro de lire un livre gay. Une telle littérature gay nous paraît indispensable : les roucoulades de Marius et Cosette, les scènes de Marguerite et d'Armand, et les minauderies d'Adolphe pour Ellénore ne nous ont pas vraiment transporté vers la béatitude - même si c'est très beau et bien écrit ! sniffff -. Des romans de même éclat avec Armand et Adolphe nous auraient certes beaucoup plus enflammés, et si Gavroche avait eu un petit copain .... !
Une telle littérature existe-t'elle ?
Dans la littérature "classique", rien de tel, ou rares sont les allusions à l'homosexualité et souvent pour vilipender ces honteuses moeurs réprouvées par l'Eglise... Quelques traces de saphisme dans la "Religieuse" de Diderot, une petite branlette dans un pensionat dans les "Confessions" de Rousseau, les deux cas évoqués sans malice ni jugement (ce qui prouve l'intelligence et l'avance de ces auteurs sur leur époque), mais pas grand chose chez les "grands" auteurs (cf. Wikipédia)!
Il faut attendre le début du 20è avec Herbart (qui ne cache rien, mais est totalement méconnu), Gide et Jouhandeau (qui abordent le sujet toujours assez subtilement), puis plus tard Peyrefitte (qui y va franchement, mais prudemment), puis Genet (qui y va à donf' !) pour commencer à entendre parler d'homosexualité sans but de rabrouer ni d'injurier. Plus récemment sont apparus d'autres grands noms, tels Yves Navarre, Hervé Guibert, Philippe Besson et quelques autres, mais est ce vraiment de la "littérature gay" ?
N'est-ce pas plus simplement de la littérature écrite par des homosexuels dans lequel l'homosexualité est parfois présente ? Ce qui n'est finalement pas plus mal. Mais tous ces auteurs sont somme toute moins qu'équivoques : des auteurs 100% hétéro qui abordent ou incluent ce sujet dans un roman sans intentions négatives, très peu, contrairement au cinéma où l'homosexualité est de plus en plus présente sans constituer en elle-même le sujet principal d'un film. Alors, pourquoi pas en littérature ?
Mais revenons à la question d'une littérature 100% gay : l
a fin du 20ème siècle voit paraître de nombreux romans, polars, essais, théâtre, ou autres, écrits par des gays, parlant de gays, et visant préférentiellement un lectorat gay. Cette littérature constitue éventuellement une "littérature gay" s'il est besoin de créer ce genre. Des maisons d'éditions spécialisées apparaissent même pour publier ses ouvrages. Même si elle est de qualité très variable, cette littérature a le mérite d'exister et d'offrir aux lecteurs homosexuels de quoi peupler leur imaginaire. Il ne faut pas cependant s'enfermer dans cette littérature, aussi bien pour le lecteur que pour l'écrivain, ce serait par trop réducteur.
En fait un bon livre "généraliste" avec deux mignons amoureux c'est parfait pour tout le monde. Ca donne une ouverture d'esprit à ceux qui ne sont pas directement concernés par le sujet, et ça isole moins les gays que "Autant en emporte le vent"....

Martial, Paris, Août 2003.


Sur cette question, vous pouvez consulter les références suivantes :

Leopoldo ALAS "Existe-t-il une littérature homosexuelle ?". Les Gays Savoirs, Coordination Patrick MAURIÈS (Le Promeneur, 1998).

Patrick DUBUIS "L'homosexualité masculine dans la littérature française de la première moitié du XXe siècle" (1994), thèse d'Université, Université de Rouen, en Littérature française du 20e siècle.
Résumé : De l'aube du 20ème siècle jusqu'aux années 50 (ou encore de A. Gide et M. Proust à J. Genet) apparaît un véritable discours sur l'homosexualité dans la littérature française. Il a contribué d'abord à imposer un modèle social de l'homosexualité (l'efféminé) qui survit encore aujourd'hui. Ensuite à travers les romans populaires notamment, il balise les principales étapes de sa destinée terrestre et les éclaire presque toujours d'une lumière tragique. Un telle représentation de la "condition homosexuelle", peut-être parce que très conventionnelle, s'est accompagnée d'une originalité surprenante au plan purement littéraire. Victimes de la censure ou encore de l'autocensure, nombre des écrivains concernés ont élaboré, au niveau symbolique, une sorte de "mystique" du désir homosexuel. De même, ils ont volontiers utilisé certaines techniques d'expression (transposition, suggestion,...), qui ont renouvelé les possibilités du langage. A ce titre, quelques données "classiques" de l'analyse textuelle (genre, thématique, ...) ont été bouleversées. Enfin, le succès d'un tel discours à cette époque amène à s'interroger sur la possible existence d'une littérature homosexuelle.
Université de Rouen, en Littérature française du 20e siècle.

Louis-George TIN "La littérature homosexuelle en question". Homosexualités : Expression/Répression (Stock, 2000).

Nicolas BALUTET "Ô Mots, êtes-vous sexuels?”, Papiers Universitaires, Centre et périphérie, aujourd’hui?, Chaumont n°12 (2000).

Thomas CHAIMBAULT "L'homosexualité dans la littérature de jeunesse" (Août 2002), Université Lille III, Thème : Société.

MAGAZINE LITTERAIRE : Dossier spécial "Littérature et Homosexualité" n° 426 - Décembre 2003.
Introduction.
L'émergence, depuis la fin du XIXe siècle, d'une " culture gay et lesbienne " est aujourd'hui un fait bien établi. Dans cette histoire complexe, la littérature tient un rôle de premier plan. De Wilde et Proust à Guibert, en passant par Gide, Colette, Genet ou Violette Leduc, elle participe directement à la constitution des identités gay ou lesbienne. Réciproquement, l'importance de cette quête, apparemment singulière, dans l'exploration de formes nouvelles d'écriture ne saurait être ignorée. Que se passe-t-il lorsque l'homosexualité dirige le regard de la littérature, avec ou sans son approbation, vers ce qui sort des normes : inverti, décadent, obscène jusqu'aux modernes camp et trash ? Quelles nouvelles voies s'y ouvrent pour écrire le corps, la sexualité, le bizarre (le queer, disent nos cousins anglo-saxons) ? Pour pouvoir poser ces questions sans sacrifier à l'esprit du temps, il a semblé que l'approche la plus naturelle était celle de la confrontation et de la comparaison avec d'autres époques. Car si la littérature a tenu une place si importante dans cette histoire, de l'éros antique aux libertins du XVIIIe siècle, c'est aussi parce qu'elle avait été un lieu privilégié de mise en scène (souvent critique) de l'homosexualité. Dialogue ininterrompu, dont on a cherché à faire entendre quelques voix à travers le temps. David Rabouin.
Sommaire
La littérature contre l'ordre sexuel. Un entretien avec Didier Eribon, propos recueillis par David Rabouine
L'homophilie grecque, par Claude Calame
L'Eros romain, par Florence Dupont
Une Renaissance homosexuelle, par Louis-Georges Tin
Le désir libertin au XVIIIe siècle, par Anne F. Garréta
Amours décadentes, par Nicole G. Albert
Un siècle de littérature lesbienne, par Laure Murat
L'aveu homosexuel, par Jean-Louis Jeannelle
La littérature du sida, par David Caron
Chroniques de la vie sexuelle, par Hugues Marchal
Penser la culture gay, par Patrice Maniglier
Les Queer Critics, Geoff Gilbert
Vient de paraître, David Rabouin
Œuvres croisées
Proust par Hugo Marsan, Jean Genet par Jean-Noël Pancrazi, Colette par Maud Tabachnik, Virginia Woolf par Jacqueline Harpman, Violette Leduc par Nina Bouraoui, Pierre Herbart par Dominique Fernandez, François Augiéras par Christian Giudicelli, Pasolini par René de Ceccatty, Hervé Guibert par Philippe Besson, Timothy Findley par Daniel Arsand



Article de l'excellente Encyclopédie Libre Wikipédia*

Homosexualité dans la littérature
Bien que réprimée pendant longtemps, l'homosexualité a été abordée par de nombreux auteurs au cours de l'histoire. D'un point de vue littéraire, les questions qu'elle soulève sont celles de son rôle dans l'économie des œuvres concernées, et de son efficacité. De façon plus large, on peut également s'interroger sur l'éventuelle action de ces œuvres sur les sociétés dans lesquelles elles s'inscrivent.

Les personnages d'homosexuels
En simplifiant, on trouve quatre types d'homosexuels dans la littérature (ces types pouvant être mêlés dans un seul personnage) :

le débauché : un exemple classique est celui des « héros » du Satyricon de Pétrone. C'est la débauche leur vrai problème, l'homosexualité n'en est qu'un aspect, et souvent pas le plus condamnable.
le démon : exemple, Vautrin dans La Comédie Humaine ; son homosexualité ne fait que compléter un caractère démoniaque déjà prononcé. De même, les personnages de Jean Genet utilisent leur homosexualité pour accentuer leur opposition déjà prononcée aux normes sociales qu'on voudrait leur imposer. L'homosexuel « démon » est en fait un personnage de révolté, souvent capable d'ébranler la société.
la victime : c'est un rôle que l'on trouve surtout dans la littérature du XXe siècle. Il se présente sous deux formes :
l'homosexuel a conscience de sa différence mais n'ose pas l'avouer; il souffre intérieurement, comme le héros de Mort à Venise.
l'homosexuel est victime d'une persécution sociale; il y résiste ou pas. Exemples : le héros de La Gloire du Paria et le Maurice de E.M. Forster.
le modèle : un personnage qui assume sereinement son orientation sexuelle, sans l'exhiber et sans la nier. On peut penser à certains personnages de Platon, mais aussi au Zénon de L'Œuvre au Noir, par exemple.
Ces différents types de personnages correspondent aux différents regards portés sur l'homosexualité au cours de l'histoire : relativement neutre dans l'Antiquité, négatif du Moyen Âge au milieu du XXe siècle, et plus indulgent à partir des années 1970.

Le rôle de l'homosexualité
Condamnée comme elle l'était jusqu'à une époque récente, l'homosexualité est souvent porteuse en littérature d'un rôle précis. On peut en isoler quatre ou cinq :

faire rire : l'homosexualité est l'un des ressorts comiques (particulièrement délicat) des pièces de Plaute. De façon plus subtile, le personnage de Charlus se rend souvent ridicule dans À la recherche du temps perdu, mais ce ridicule le rend aussi tragique.
fasciner et/ou inquiéter : cette fonction apparaît clairement avec le personnage de Vautrin dans La Comédie Humaine, mais aussi avec le Dorian Gray d'Oscar Wilde.
émouvoir : c'est évidemment le rôle de tous les personnages de « victimes ». De nos jours, les mangas yaoi obtiennent au Japon un grand succès auprès du public féminin en se centrant sur des personnages torturés par la découverte de leur homosexualité : voir Zetsuai.
revendiquer : c'est plus ou moins le rôle que se fixent toutes les œuvres « homosexuelles » publiées depuis la Renaissance, mais cette fonction est peut-être plus affirmée dans les romans des années 1970-1990. La revendication peut parfois se confondre avec une simple affirmation de son identité, comme dans les Leaves Of Grass de Walt Whitman. Elle passe également souvent par l'émotion. Au XXe siècle, cela a donné naissance à une « gaytitude » qui possède ses propres poètes lyriques et ses propres pamphlétaires.

Ce dernier courant semble cependant rencontrer aujourd'hui ses limites, du moins dans le monde occidental.

Bibliographie générale
Antiquité
Pétrone, Le Satyricon (Rome) (roman)
Platon, Le Banquet (Grèce) (dialogue philosophique)
Sappho de Mytilène, Les Chansons de Bilitis (Grèce) (poèmes)

Moyen Âge
Anonyme, Les Mille et Une Nuits (pas dans la version de Galland)
Marie de France, Lai de Lanval (lai)

XVIe siècle
Christopher Marlowe, Edward II (Angleterre) (théâtre)
Michel-Ange, Sonnets (Italie) (poèmes)
William Shakespeare, Richard II (Angleterre) (théâtre)
William Shakespeare, Sonnets (Angleterre) (poèmes)

XVIIe siècle
Cyrano de Bergerac**
Théophile de Viau - voir les libertins du XVIIe siècle

XVIIIe siècle
Denis Diderot, Entretien entre d'Alembert et Diderot (une allusion subtile ?)

XIXe siècle
Honoré de Balzac, Le Père Goriot : révélation sur Vautrin à la fin (roman)
Honoré de Balzac, Illusions perdues (roman)
Honoré de Balzac, Splendeurs et Misères des Courtisanes : toujours Vautrin (roman)
Honoré de Balzac, La Duchesse de Langeais (roman)
Honoré de Balzac, La Fille aux Yeux d'Or (roman)
Herman Melville, Billy Budd (roman)
Alfred de Musset, Lorenzaccio (1834)(théâtre)
Paul Verlaine, Hombres (poèmes)
Walt Whitman, Feuilles d'herbe (Leaves of Grass, États-Unis) (poèmes)
Oscar Wilde, De Profundis (Angleterre) (« lettre »)
Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray (Angleterre, 1890-1891) (roman)
Émile Zola, Nana

XXe siècle
Peter Ackroyd, Le Testament d'Oscar Wilde (The Last Testament of Oscar Wilde, Angleterre, 1983) (roman)
Renaud Camus
Constantin Cavafy, Poèmes
Jean Cocteau, Le Livre Blanc (roman semi-autobiographique, 1928)
René Crevel
Dieter et Lepage,
Névé, tome 5 « Noirs désirs », France, 1997 (bande dessinée)
Dominique Fernandez, Dans la main de l'ange (biographie romancée)
Dominique Fernandez, L'Étoile Rose
Dominique Fernandez, Porporino ou les Mystères de Naples (roman)
Edward Morgan Forster, Maurice (roman)
Jean Genet, Le Condamné à Mort (poèmes)
Jean Genet, Miracle de la Rose (roman)
Jean Genet, Notre-Dame-des-Fleurs (roman)
Jean Genet,Querelle de Brest (roman)
André Gide, Corydon (dialogue philosophique)
André Gide, Les Nourritures terrestres (poème en prose)
Julien Green, Chaque homme dans sa nuit (1960)
Julien Green, Jeunes années (autobiographie, 1984)
Julien Green, Sud (théâtre)
Hervé Guibert, A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie
Pierre Guyotat, Eden, Eden, Eden
Pierre Guyotat, Tombeau pour cinq cent mille soldats
Henry James, Le Tour d'écrou (The Turn of the Screw, États-Unis) (roman qui a inspiré un opéra à Benjamin Britten)
Håkan Lindquist,
Mon frère et son frère (Min bror och hans bror, Suède, 1993) (roman)
Federico Garcia Lorca, Sonnets de l'Amour Obscur (poèmes)
Thomas Mann, Mort à Venise (Der Tod in Venedig)
Yukio Mishima, Confession d'un masque (Japon) (autobiographie)
Yukio Mishima, Les Amours Interdites (Japon) (roman)
Henry de Montherlant, La Ville dont le prince est un enfant (théâtre)
Henry de Montherlant, Les Garçons (adaptation romanesque de La Ville dont le prince est un enfant)
Fabrice Neaud, Journal, bande dessinée autobiographique, 1996 (en cours).
Fernando Pessoa, Antinoüs (poème en anglais, Portugal)
Roger Peyrefitte, Les Amitiés Particulières (roman)
Marcel Proust, À la Recherche du Temps Perdu (en particulier Sodome et Gomorrhe et les volumes suivants)
Michel Tournier, Les Météores (roman)
Michel Tournier, Le Roi des aulnes (roman)
Bai Xianyong, Garçons de Cristal (Nie Tzu, Chine, 1995) (roman)
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien (roman)
Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au Noir (roman)
Marguerite Yourcenar, Alexis (roman)
Stefan Zweig, La Confusion des Sentiments (Die Verwirrung der Gefühle, Autriche) (nouvelle)

XXIe siècle
Johanna Sinisalo, Jamais avant le coucher du soleil (Ennen päivänlaskua ei voi, Finlande, 2000) : l'attirance d'un humain pour un troll (roman)
Tito, Tendre banlieue, tome « Le pari », France, 2003 bande dessinée, deux adolescentes s'amourachent d'un garçon.
Olivia Rosenthal, Les félins m'aiment bien, 2005, pièce de théâtre, les deux héroïnes (Cérès et Marianne) finissent par se séduire l'une et l'autre, dans une scène où Cérès vole à Marianne sa robe de mariée.

*sauf erreur de ma part pas besoin d'autorisation pour la reproduction selon les termes de la GFDL. Si je me suis trompé merci de me contacter. Le texte est reproduit ici sans modification (édition du 04 avril 2005).
**Il s'agit du "réel" Cyrano de Bergerac, et non de la pièce éponyme de Edmond Rostand (NDHL).*

 


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